Sandrine Marques - Le Monde
6 nov. 2014
En adaptant « Marie Stuart », de Stefan Zweig, le cinéaste suisse Thomas Imbach ne renonce pas à son exigence formelle.
« Mary Queen of Scots » : la passion à en perdre la tête
En adaptant « Marie Stuart », de Stefan Zweig, le cinéaste suisse Thomas Imbach ne renonce pas à son exigence formelle.
Thomas Imbach est un cinéaste suisse à part. Auteur de films dominés par l’instabilité, son rapport tellurique aux paysages et son goût pour l’expérimentation l’ont amené à dessiner les contours d’une filmographie très personnelle. Il est à regretter qu’elle n’ait pas franchi à ce jour nos frontières. C’est dire la surprise aussi qui la fut nôtre quand on vit le réalisateur s’aventurer du côté du film d’époque, ses pas ayant jusqu’alors emboîté ceux d’une modernité conceptuelle.
Aidé notamment au scénario par sa compagne Andrea Staka (elle-même réalisatrice), Thomas Imbach adapte Marie Stuart, de Stefan Zweig. La rencontre entre l’œuvre du réalisateur et celle de l’écrivain austro-hongrois a les atours de l’évidence, au vu des courants tortueux qui parcourent ses films. Mais là où l’on s’attendait à ce que la folie infuse chaque plan de la même matière noire dont est fait le roman, Thomas Imbach fait le choix de l’épure stylistique et narrative. C’est au moyen de plans savamment composés et superbement éclairés qu’il raconte le parcours de cette reine d’Ecosse, au destin tragique.
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Marie Stuart passe sa jeunesse en France où elle est promise à la couronne. Mais son époux décède prématurément. De retour en Ecosse, c’est un spectacle de désolation qui l’accueille. Le pays a été ravagé par la guerre. La souveraine contracte une nouvelle union avec Lord Darnley et donne naissance à l’héritier du trône. Mais le couple se désagrège face aux troubles politiques qui agitent le pays.
Terrien et onirique
C’est dans cette période de crise que Marie Stuart rencontre la passion, en la personne du comte Bothwell. Elle fait assassiner son époux et s’unit à son amant, provoquant l’ire et l’effroi du peuple et des aristocrates. Après avoir purgé dix-neuf années dans les geôles britanniques, elle sera décapitée, sur ordre de sa cousine, Elisabeth I.
Sous l’apparent classicisme de l’ensemble, Thomas Imbach développe une dramaturgie, au dérèglement souterrain. Elle épouse le déséquilibre de personnages dont la folie est d’aimer, de manière incandescente. La passion qui brûle Marie Stuart lui fera abdiquer toute mesure et, comme souvent en pareille affaire, la raison du cœur prendra le pas sur la raison d’Etat. La démence, embusquée à l’orée des scènes, se niche dans des plans filants, réalisés au moyen d’une caméra qui balaye les paysages. Ils troublent une narration, en surface, sobre. On retrouve ce mélange à la fois terrien et onirique qui fait la patte si singulière de Imbach.
Camille Rutherford, absolument magnifique
A ces indices vertigineux qui dynamitent le procès de hiératisme qu’on pourrait faire au réalisateur se greffe une interprétation d’une modernité et d’une fraîcheur folles. Elle est du fait de l’excellente comédienne franco-britannique Camille Rutherford.
Absolument magnifique dans le rôle de Marie Stuart, elle succède dignement à une lignée d’actrices prestigieuses (Katharine Hepburn, Vanessa Redgrave) qui tinrent le rôle complexe de la souveraine écossaise à l’écran. L’actrice n’en est pas à ses premières armes. Rôle principal dans Low Life, de Nicolas Klotz, on l’a vue dans Les Coquillettes, de Sophie Letourneur, Un Eté brûlant, de Philippe Garrel, La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche ou encore dans le sublime Holy Motors, de Léos Carax. Elle insuffle à son personnage une grâce rêveuse mais aussi une gravité qui attestent déjà de sa grande maturité de comédienne.
Film suisse de Thomas Imbach, avec Camille Rutherford, Sean Biggerstaff, Aneurin Barnard, Edward Hogg, Bruno Todeschini, Joana Preiss (2 heures).